Le 20 janvier 2020
Nous nous sommes perdues exactement quatorze fois entre la cabane des Sorcières et le village des Trolls. N’étant pas accompagnées, nous avons suivi une vieille carte si peu précise que nous avons fait des détours de plusieurs kilomètres sans nous en rendre compte.
Les chemins sont pourtant peu nombreux et la montagne bien en vue, mais distraites par le décor nouveau qui s’offrait à nous, nous avions vite fait de marcher la tête en l’air et de manquer un embranchement. Ainsi lorsque nous sommes arrivées aux Sables Mouvants, nous nous sommes retrouvées face à la portion la plus dangereuse au lieu de simplement les longer comme nous aurions dû le faire. Nous en avons alors fait le tour, ce qui nous a valu presque une heure de trajet en plus dans la boue et la puanteur des marécages. Ce n’est honnêtement pas notre lieu préféré de la forêt, mais il est étonnamment apprécié par ses habitants qui y trouvent racines et plantes rares, le sol étant réputé pour ses propriétés magiques. Nous ne nous y sommes pas attardées plus que nécessaire mais avons convenu d’y revenir plus tard, fortement intriguées. Les bruits et silhouettes entrevues dans la brume, bien que légèrement inquiétants, ont attisés notre curiosité. Quels mystères se trouvent dans ces marécages ?
Une fois les Sables Mouvants contournés, nous avons gravi les montagnes et traversé un dédale de couloirs taillés à même la pierre et hauts d’une dizaine de mètres, nous donnant l’impression d’évoluer dans un labyrinthe minéral. Ici, pas de carte, c’est le labyrinthe qui décide qui est digne d’entrer dans le territoire des Trolls et qui ne l’est pas. Si nous sommes dignes nous passerons, sinon nous serons relâchées là où nous sommes entrées. Et, si nous venons avec de mauvaises intentions, nous tournerons à jamais dans ces couloirs magiques. La Sorcière en personne nous ayant donné une lettre de recommandation, adressée à un certain Delf, ainsi qu’un talisman sensé signifier que nous sommes des personnes dignes de confiance, nous nous sommes engagées dans le labyrinthe relativement confiantes. Le talisman, une pierre violette à peine plus grande qu’une tomate cerise, brillait doucement, montée en collier autour du cou de Valentine.
Durant notre avancée, des cailloux se détachaient régulièrement des hauteurs et rebondissaient contre les parois. Le son venait de tous les côtés, encouragé par l’écho et agressant nos tympans.
Finalement, nous avons atteint la sortie du labyrinthe. Deux silhouettes d’environ deux mètres cinquante de haut nous attendaient au bout d’un énième couloir. Si l’un des Trolls abordait un visage souriant, le second quant à lui se montrait très méfiant. Les Fées nous avaient prévenues : les Trolls sont un peuple très communautaire et les anciens n’apprécient pas beaucoup la présence d’inconnus sur leur territoire. Les plus jeunes, comme Cal, sont plus ouverts mais restent assez élitistes. C’est impressionnées et timides que nous nous sommes avancées hors du labyrinthe à la lumière du jour. Et nous sommes restées bouches bée.
Le village des Trolls se trouvait dans une cuvette entourée de roches. On aurait dit qu’ils avaient découpé un cercle à même le sol et creusé sur dix mètres de profondeur. Des deux côtés, parfaitement symétriques se trouvaient deux sources naturelles formant des lacs miniatures de cinq ou six mètres de diamètre, entourés par des dalles de pierres très bien agencées. Nos pieds, douloureux après notre longue marche, foulaient à présent un sol meuble et l’odeur de l’herbe verte nous montait au nez. Des fleurs étaient plantées çà et là et quelques arbres apportaient un peu d’ombre. Le long des parois on pouvait apercevoir une cinquantaine de portes, donnant sans doute sur des grottes servant d’habitations. Juste en face de l’unique entrée par laquelle nous venions d’arriver se trouvait la plus grosse porte, en haut d’un escalier qui montait à près de 6 mètres de haut. C’était sans aucun doute la tanière du chef de clan, Delf. Et, enfin, au centre de la clairière se trouvait une table en pierre ronde.
Un gong a soudainement retenti et des Trolls sont sortis de toutes les grottes, se rassemblant autour de nous en moins d’une minute. Certains semblaient curieux et d’autres agressifs mais aucun ne s’est approché de nous avant que le chef de clan ne sorte de son refuge. S’appuyant sur un bâton de bois tressé, le colosse nous a rejoint et s’est assis lourdement en face de nous. Même ainsi, il nous dépassait d’une tête.
- Il me semble que vous avez quelque chose qui m’appartient. A-t-il dit, de sa voix rauque et profonde qui évoquait un éboulement de roches.
Nous avons alors déposé dans sa main le collier et la missive et, sous nos yeux ébahis, les lettres de cette dernière se sont transformées jusqu’à former un tout nouveau texte.

Le collier quant à lui s’était mis à briller de plus en plus fort et, à notre grand étonnement, la table ronde s’était mise à briller elle aussi, d’une lumière blanche très douce.
A ce stade là du voyage, épuisées et dans un environnement inconnu, entourées par des géants que nous ne connaissions pas, nous étions dans un état d’incompréhension terrible. Que se passait-il ?
Le chef a alors éclaté de rire et fait un geste de la main. Tous les Trolls se sont instantanément mis en mouvement jusqu’à former trois cercles parfaits autour de la table. Ainsi placés, nous avons pu observer certaines différences entre eux. Les Trolls du cercle extérieur étaient plus grands et plus musclés. Ils avaient également la peau plus foncée et une tresse qui descendait jusqu’au bas de leur dos.
- Ce sont les guerriers, nous a glissé Delf après avoir remarqué nos regards intrigués. Nous n’avons pas besoin de nous battre ici à Stormwood car nous vivons en paix, mais depuis la nuit des temps les Trolls naissent avec des caractéristiques qui détermineront leur rôle dans la société. Ceux du cercle central sont plus fins et rapides comme vous pouvez le voir. Leurs yeux violets sont magiques et adaptés à la vision nocturne et leur ouïe est également plus développée. Ce sont nos chasseurs, chargés de la quête d’informations et de la chasse.
Nous ne nous attendions pas du tout à cela. Personne parmi les Fées et les Lutins ne nous avait préparées à une telle découverte et à une telle richesse chez les Trolls.
- J’imagine que vous aviez de nous une toute autre vision n’est-ce pas ? Les humains nous voient comme des monstres sanguinaires ou stupides, car ils se basent sur l’image de nos ancêtres. Nos légendes n’ont pas été mises à jour depuis des siècles car cela les arrangeait bien d’avoir un monstre sous la main.
Nous avons hoché la tête et j’ai demandé :
- Et ceux du cercle intérieur, qui sont-ils ?
Ceux-ci étaient parfaitement immobiles, leur poing gauche appuyé dans leur paume droite, tête baissée. Des rivières de lumière blanche partaient de leurs pieds pour rejoindre la table qui s’illuminait de plus en plus. Le doute n’était plus possible.
- Ce sont des mages, a chuchoté Valentine.
- Exactement. Les autres habitants de la Forêt ne sont pas les seuls à être capables de magie. La nôtre fonctionne différemment, elle est plus puissante lorsque nous sommes en groupe et n’est pas individuelle. C’est pourquoi vous ne verrez jamais un Troll mage seul.
Tandis que nous parlions, les chasseurs et les guerriers s’étaient mis à danser et psalmodier des paroles incompréhensibles. Nous nous trouvions littéralement à côté d’un rituel magique. Le chef des Trolls s’est levé soudainement et a pris un air grave.
- Vous vous demandez sûrement ce que nous faisons. C’est très simple, avez-vous entendu parler des artefacts de Stormwood ?
Hochements de tête négatifs.
- Je vois, la Sorcière vous a donc bien envoyées à moi sans vous mettre au courant. Voyez-vous, il y avait initialement sept artefacts magiques à Stormwood, tous censés faire le bien. Mais un jour, une sorcière du nom de Zarya a vu en ces objets un moyen d’étendre son pouvoir. C’était à l’époque des chasses aux sorcières et elle était entre la vie et la mort depuis bien trop longtemps pour qu’elle puisse le supporter. Elle s’est alors mise en tête de les combiner, dans le but de créer une arme qui pourrait détruire ses persécuteurs. Elle a utilisé les artefacts et la magie de la Forêt et les a détournés de leurs fonctions premières, elle les a souillés de magie noire. Le Lac de l’Inspiration ne juge pas les idées, il aide. Grâce à lui, elle a manipulé l’ensemble de la Forêt et réussi à rassembler des magies bien trop différentes pour être combinées de manière viable. Elle a épuisé les sols de Stormwood, détruit la faune et la flore à force de puiser dans leurs ressources et écarté tous les habitants qui tentaient de lui faire retrouver la raison. Une fois que les sorcières qui trouvaient refuge à Stormwood se rendirent compte de ce qu’il se passait, il était trop tard pour l’arrêter.
Il a fait une pause dramatique et nous a lancé un regard amusé. Nous étions complétement fascinées.
À suivre...
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